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Après la haine, l'espoir

La grève du lait a bousculé, rassemblé, motivé, interpellé…

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J'ai trop la haine ! Cette exclamation que prononcent nos jeunes pour exprimer leur désarroi, je la fais mienne. J'ai fait la grève du lait et tout ce que j'ai vu et entendu pendant cette période m'interpelle.

Trop la haine contre :

- Ce pouvoir politique qui confond souveraineté alimentaire et libéralisme économique.

- Ces politiques qui ont attendu l'épandage spectaculaire du Mont Saint-Michel pour prendre conscience du malaise de la campagne profonde.

- Les laiteries qui ont joué à fond la désinformation, la pression, voire les menaces.

- Ce syndicat majoritaire assis sur ses certitudes et qui refuse le pluralisme. - Son président qui voulait que la journée des JA et le Space soient « une grande fête de l'agriculture où l'on oublie un instant ses problèmes ».

- Certains syndicalistes qui, lorsqu'ils sont en bande, n'hésitent pas à saccager les biens publics mais qui, seuls dans leur laiterie par un petit matin brumeux, sont incapables d'ouvrir la vanne de leur tank.

- Nos organismes techniques (contrôle laitier, centre de gestion, coopératives…) qui se sont fait remarquer par leur silence assourdissant quand les privés, eux, manifestaient. Sans prendre position, ils pouvaient au moins provoquer le débat.

- Les banques qui regardent l'EBE comme un critère de capacité de remboursement : « Ça passe juste mais faudra vous serrer un peu la ceinture. »

- Nous, collectivement, les producteurs, qui ne connaissons pas le coût de notre produit, rémunération du travail et du capital inclus. Quand un vendeur ignore son coût de revient, peut-on s'attendre à ce que le client paie un prix juste ? Je n'ai pas fait la grève pour obtenir 400 € /tonne, même si, dans l'absolu, le lait devrait coûter plus cher que le Coca. Non, j'ai fait grève pour expliquer aux consommateurs qu'il faut cinq litres de lait pour se payer un café au bar du village. Est-ce logique ? Mais trop de haine aveugle, trop de haine détruit (c'est beau ça, j'ai dû le lire quelque part).

Alors, j'ai trop d'espoir parce que j'ai rencontré, en quinze jours, plus d'agriculteurs qu'en une année.

Un nouveau réseau de solidarité est né. Grâce à internet et aux téléphones portables, des actions spectaculaires ont vu le jour en 36 heures. De simples outils ont permis l'information, le débat, le rassemblement et l'action pacifique.

L'Apli a su cristalliser autour de son mouvement tout le mal-être et les non-dits des producteurs. Mark Twain a dit : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ». Et bien, l'Apli l'a fait. Les politiques, les transformateurs, les dirigeant de GMS et les consommateurs ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas. Les échanges mondiaux, le libéralisme, la spéculation sur l'alimentaire, les marges abusives, la contractualisation synonyme d'intégration… tout cela doit être débattu.

Tout reste à inventer et à construire.

L'Apli et son statut associatif pourraient s'ouvrir aux consommateurs et autres, et devenir une force de réflexion et de proposition. Elle doit aussi se structurer pour acquérir une légitimité.

Pour la première fois, des producteurs de toute l'Europe, au travers de l'EMB, ont pu parler d'une même voix et amener Mariann Fischer Boel à s'interroger sur ses certitudes. Une certitude n'est souvent qu'un manque d'imagination ! Quoi qu'on en dise, cette grève aura eu le mérite de catalyser la révolte des producteurs.

Tout reste à faire et c'est cela qui est exaltant. Ma grand-mère qui aurait aimé bloquer des camions mais a dû suivre les événements à la télé, a prononcé cette phrase que n'aurait pas reniée Jean-Paul Sartre : « Ah c'était trop d' la balle ! »

PASCAL POMMEREUL

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